jeudi 15 octobre 2009

Qu'est ce qu'un marsupial?

Marsupial: Concept - employé toujours au masculin -inventé par Ivan Chtcheglov pour désigner l'« antifemme», passé dans l'argot de quelques situationnistes connaisseurs : « Elle est la laideur et la beauté. Elle est comme tout ce que nous aimons aujourd'hui.»

Exemple : « Hafid est toujours assez inactif mais il a finalement mis la main sur un jeune marsupial tout à fait charmant»


(Lettre de Guy Debord à Mohamed Dahou 18 novembre 1957.)

samedi 3 octobre 2009

Deux sœurs

« Le lendemain même du jour où je t'écrivais ma dernière lettre, nous avons vu chez nous un soir les deux sœurs. Je peux donc confirmer la moitié du tableau que tu en as fait ; et infirmer absolument l'autre moitié. La “grande” est réellement lesbienne, et libertine. La “petite” (celle que tu as sautée) est une factice prétentieuse, qui n'est réellement [Renvoi en marge : « Au sens : authentiquement, avec goût vrai. »] rien de tout cela, mais veut avoir de l'importance. Ainsi, il est également vrai que la grande a un goût très réel pour sa jeune sœur, mais la réciproque ne me paraît guère probable. La petite est surtout flattée d'avoir une sœur à ses pieds ; et prend des airs libertaires peu fondés. Elle voulait que l'on s'occupât d'elle comme d'une intéressante merveille, en tant que libertine peut-être même ― c'est à la mode, et c'est le plus apparemment facile à jouer ―, mais contradictoirement, en lui accordant une extrême attention ! Les deux sont assez intelligentes ; mais pas dans leur conduite. La petite ne se distingue guère du pro-situ banal. La grande a l'authenticité de ses vices, mais son attachement à sa sœur ne l'améliore pas elle-même, comme tu vas voir. Cette authenticité peut rendre assez plaisante sa laideur, en effet. La petite est moins laide, mais plus banale. Je vais te décrire brièvement la soirée qui a fait apparaître ces conclusions. Après un dîner et une conversation très générale, qui ne manquait pas d'évoquer le sadisme, toi-même, vos relations, il s'agissait évidemment de ne pas décevoir ces jeunes filles, à vrai dire peu enthousiasmantes mais baisables (surtout à quatre, et du fait que ce sont deux sœurs). J'ai donc dit, coram populo, à Alice : “Pour les séduire, on commence par laquelle ?” L'aînée répond, fort justement, que ce n'est pas la peine de distinguer chronologiquement. Nous approuvons. Là-dessus, la petite s'effraie manifestement (se choque, si tu veux, non certes de notre perversité, mais de notre aimable et facile désinvolture qui pourtant, tu en conviendras, venait dans ce cas tout à fait à son heure). La sotte, gênée en même temps d'avoir marqué sa surprise ― qui fait un peu XIXe siècle ―, bafouille quelque chose de vague sur le fait, peut-être qu'on se connaît peu, et qu'elle ne sait pas si elle nous plaît (ceci voulant dire en fait : nous ne le lui avons pas assez montré, ce qui est exact si on suppose qu'elle voudrait en plus quelqu'un pour lui faire la cour une heure ou deux). J'ai dit froidement qu'elle était charmante ; et je lui avais même caressé deux ou trois fois les cheveux [Renvoi en marge : « Elle avouait aussi qu'elle ne se sentait pas très à l'aise ; ce qui donnait aussitôt à la grande l'occasion de rétorquer bravement que, pour sa part, elle se trouvait parfaitement à l'aise chez nous. »] . J'ajoutai que, de toute façon, les amies de Gianfranco sont toujours bien reçues chez moi, quels que soient leurs désirs ou absence de désirs. Là-dessus, pour ne pas plus rester dans ces considérations académiques, je dis à Alice qu'elle devrait en prendre une, et que nous pensons certainement à la même. L'Asiate se lève, prend par la main la grande qui, très contente, la suit ; et la conduit pour assez longtemps dans sa chambre.
La grande se conduit fort agréablement au lit (ce que je ne sais que par l'Asiate, mais c'est un bon juge). Elle a même la bonté de lui dire qu'elle aurait couché aussi volontiers avec moi ; ce dont je me doutais bien, mais qu'il n'était pas urgent d'expérimenter.
Pendant ce temps, je conserve avec la plus jeune la plus exquise politesse. Nous parlons de futilités, alors qu'elle attendait certainement quelques propositions plus convaincantes qu'auparavant, et surtout plus “personnelles” puisque nous étions seules ! La conversation étant venue sur les animaux, j'ai parlé longuement à cette petite fille de ton chien Marx, qui était si stupide, et de ton python, que je n'ai pas connu. Quand les autres filles revinrent, elles s'étonnèrent un peu de ne pas nous trouver au moins dans les bras l'un de l'autre, et je dis que je n'ai pas cherché à “endoctriner” la petite sœur. Tu imagines le dépit très apparent de celle-ci, furieuse surtout de la réelle désinvolture libertine que sa sœur aînée avait eu l'occasion de manifester, la faisant voir, elle, par contraste, comme une timide ou, ce qui est encore plus grave à ses yeux, comme un personnage quelconque et secondaire dans le couple où elle veut tenir la vedette.
Après cela, l'atmosphère était un peu gênée. La grande, dont la joie avait d'abord paru vivement, semblait fort inquiète en regardant sa sœur. On se sépare. On leur propose de revenir dîner le lendemain. La grande accepte tout de suite très gaiement ; et la petite aussi tout de suite après, pour ne pas avoir l'air d'aggraver son cas. Je croyais donc que nous reverrions le lendemain la grande toute seule, ce qui eût été à tous égards le mieux ; la petite se faisant excuser sous n'importe quel prétexte.
Or, cher Gianfranco, nous ne voyons personne le lendemain, sans autre signe de vie. Ce qui signifie que la colère de la petite a tout à fait paralysé sa sœur ; et leur a fait même oublier qu'il leur était facile d'envoyer quelque pneumatique insolemment poli, en disant par exemple qu'elles avaient tant à faire avec tant de leurs amours parisiennes...
Les sottes ― pour les juger collectivement comme il semble qu'elles le méritent ― n'y ont pensé que bien plus tard, et vraiment sans insolence ni finesse. Six jours plus tard, on nous a adressé les risibles constructions ci-jointes, du faux pneumatique laissé à une oublieuse amie ! Et, pour que tu ne puisses pas croire qu'elles avaient même vraiment quitté Paris, je te signalerai qu'au moment même où cette lettre nous arrivait, nous étions avec Antónia, laquelle nous parle spontanément de ces deux filles qu'elle a rencontréés la veille rue Gay-Lussac, l'une et les autres se trouvant en compagnie de différents pro-situs, qui ont ainsi le bonheur de développer et enrichir leurs relations (toute cette engeance est vouée à se connaître comme si l'Europe n'était qu'un gros village).
Voilà tout. Tu as donc mon rapport détaillé sur la question, peu sérieuse mais amusante et significative. Traite-les en conséquence, et fais-leur à Florence la réputation qu'elles méritent. »
(Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti du 18 juillet 1972.)

Transhumances

« Merci pour le lit ! Nous avons fait signe aux deux sœurs dont tu as tracé un portrait si intéressant, et nous espérons les voir incessamment. »


(Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti du 4 juillet 1972.)

Eléments de marsupiologie appliquée


« Nous viendrons à Florence autour du 20 juillet. Nous pensons amener notre charmant marsupial. Je voudrais donc que tu te procures d'ici là un lit moins incommode que celui que nous avions la dernière fois. Voici nos exigences : une largeur minimum d'un mètre quarante. Mais on veut bien un lit plus grand. »


(Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti du 17 juin 1972.)

Eléments de marsupiologie fondamentale

« Tes dernières observations confirment la tendance générale à la migration vers Florence des marsupiaux du monde entier. Ces intelligents animaux qui, dans la génération précédente, transhumaient plutôt vers Paris, ont senti avec un instinct sûr les transformations écologiques. On peut déjà en déduire qu'ils préfèrent les inondations aux vapeurs d'essence. Ceci n'est qu'une observation empirique, mais peut-être aura-t-elle un jour son utilité dans le développement de la marsupiologie fondamentale. En tout cas, on peut déjà conclure que le centre du Marsupialfeld doit être aussi le centre d'activité des marsupiologues internationaux. Pense à ma maison. »
(Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti du 13 décembre 1971.)

vendredi 25 septembre 2009

La lecture, ce vice impuni


« La grappa était très bonne. Merci également pour le livre de l'Arétin. Je comprends fort bien le sens général (et notre lettre à De Donato m'a heureusement appris un mot essentiel ["Sgualdrina" (catin, salope)], que j'aurais peut-être pu tout de même décrypter en considérant sa fréquence). Pour goûter les plus fines nuances du texte, il me faudra obtenir la collaboration de quelque petite fille italienne. J'y penserai. »


(Lettre de Guy Debord à Gianfranco Sanguinetti, 6 novembre 1969.)

A propos de la VIIIe Conférence de l'I.S.




« Quels effectifs faut-il prévoir?
Voici, à ma connaissance, les derniers chiffres :
section française : 10
section américaine : 4
section italienne : 3
section scandinave : 1 ou 2
Donc le chiffre maximum serait 19 – on n'aura certainement aucun nouveau participant d'ici à septembre. Si l'on suppose que chacun n'amène qu'une fille, 19 lits seraient suffisants. Pour tout ce qui est au-delà, le fouriérisme offrira certainement les solutions adéquates. »
(Lettre de Guy Debord à la section italienne de l'I.S., 20 juin 1969)